L´Allemagne vise la neutralité carbone en 2045

15 / 07 / 2021

L´Allemagne vise la neutralité carbone en 2045

Juil 15, 2021 | Actualités

POINT DE VUE DE PNC-FRANCE : Jean-Pierre PERVÈS (Groupe Experts de PNC-France)

Éliminer nucléaire, puis charbon et lignite, et beaucoup plus tard le gaz naturel pour se soumettre aux caprices du vent et du soleil : c’est le pari de l’Allemagne sur la route de la neutralité carbone.  C’est ce que nous présente ci-après un spécialiste Allemand de l’énergie, qui fait le bilan des incertitudes et enjeux de ces choix. Il est pourtant connu qu’envisager un système électrique 100% renouvelable est un projet pour le moins aventureux[1]. Cela représente un risque, technique, économique et social pour ce pays, mais aussi pour une Europe fortement soumise à son influence. Par ailleurs, envisager d’ajuster ces productions intermittentes en utilisant pour longtemps encore des centrales à gaz naturel qui émettent des gaz à effets de serres (GES) pose question, même si son impact climatique est inférieur à celui du charbon et du lignite[2].

PNC-France déplore qu’un pays aussi puissant se prive du nucléaire, source d’énergie décarbonée et pilotable, et en contrepartie prolonge autant l’usage du charbon, et plus encore du lignite, puissants émetteurs de gaz carbonique (CO2) et de particules fines. Dans ce contexte, la préoccupation climatique, pourtant sans cesse martelée, ne semble pas prioritaire. Pour le Président de RTE en France, tout reste à faire pour permettre l’intégration d’une proportion très élevée d’énergies renouvelables électriques avec ‘quatre ensembles de conditions strictes et cumulatives’, c’est-à-dire à remplir impérativement pour que le système fonctionne : stabilité du système électrique, stockage massif et flexibilité extrême des usages, réserves de sécurité, extension considérable des réseaux.

Dans l’article ci-après, Hartmut LAUER nous livre son analyse des nouveaux objectifs de l’Allemagne et des moyens envisagés pour les atteindre. Les données ne sont guère encourageantes : retards sur le développement des réseaux, perte des capacités pilotables nécessaires à la compensation de l’intermittence de l’éolien et du solaire, investissements gigantesques et à rythme élevé dans des énergies dévoreuses d’espaces, et enfin prix élevés de l’électricité. Ce pays va de plus basculer d’une position très exportatrice d’électricité à importatrice, alors que ses voisins suivent largement la même voie.

Il est indispensable que notre gouvernement suive de très près les résultats du saut dans l’inconnu d’un pays qui s’oppose fortement au mix français au niveau européen comme nous pouvons le constater quand il s’agit d’orienter les financements pour un développement durable (la taxonomie).  Serait-il acceptable que le nucléaire, remarquablement décarboné, en soit exclu[3]!

[1] https://www.sauvonsleclimat.org/fr/base-documentaire/ommunique-un-systeme-electrique-100-renouvelable-est-il-reellement-possible

[2] https://www.pnc-france.org/chiffres-et-arguments/

[3] https://www.pnc-france.org/le-nucleaire-dans-la-taxonomie-une-evidence-pour-la-france-et-le-climat/

 

ILLUSTRATION  :  Nicolas WAECKEL

 

TEXTE : L´Allemagne vise la neutralité carbone en 2045,

par Hartmut LAUER, Ingénieur-docteur, ancien directeur du site nucléaire de Biblis et ancien Président de RWE Power

Avec l´avenant à la Loi sur la Protection du Climat, décidé par le Conseil des Ministres le 12 mai 2021, le gouvernement fédéral compte réduire les émissions de gaz à effet de serre de 65% d´ici 2030 par rapport à 1990 (contre 55 % auparavant), puis de 88 % d´ici 2040, et atteindre la neutralité carbone dès 2045 [1]. 

Cet avenant répond aux exigences de la Cour Constitutionnelle Fédérale et anticipe la contribution allemande au nouvel objectif contraignant de l´Union Européenne en matière de climat à l´horizon 2030 (Fig. 1). Il a obtenu le feu vert du Parlement et du Conseil Fédéral.

Figure 1 : nouveaux objectifs de réduction des gaz à effets de serre

Le gouvernement a de plus adopté un programme d´urgence pour la protection du climat le 23 juin 2021, d´un montant de près de 8 milliards d’euros. Les contraintes de réduction des émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) imposées aux citoyens et aux entreprises sont considérablement accrues. Les mesures prises concernent en priorité l’énergie, l’industrie, la mobilité verte, l´agriculture et le secteur du bâtiment (Fig. 2). L´accent est mis sur les mesures à court terme qui réduisent de manière visible et mesurable les émissions de GES[1] [2]. Il faudra attendre la formation du nouveau gouvernement, après les élections fédérales de septembre 2021 pour découvrir les mesures concrètes à mettre en œuvre pour atteindre ces objectifs. La nouvelle hausse des objectifs implique une accélération du changement structurel Le secteur de l’énergie supportera une part élevée, 46 %, des efforts de réduction des émissions d’ici 2030.

Figure 2 : réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 par secteur selon l’avenant de la Loi sur la Protection du Climat

Il est envisagé principalement d’instaurer une hausse de la taxe carbone, une sortie accélérée de la production d’électricité à base de charbon/lignite et un développement plus rapide des énergies renouvelables (éolien et solaire).

Le Think Tank Agora Energiewende [3} et la Fédération Allemande des Entreprises de l´Énergie et de l´Eau (BDEW) [4] ont, peu après la décision du Conseil des Ministres, publié des propositions concrètes pour atteindre ces nouveaux objectifs.

Selon les deux organisations, la part des énergies renouvelables devrait atteindre 70 % de la consommation d’électricité d’ici à 2030 (40 % en 2019). Toutefois, la consommation d´électricité augmentera de 50 à 100 TWh par rapport à 2019 (~ 570 TWh), malgré une meilleure efficacité énergétique. BDEW envisage même 700 TWh en 2030 avec une augmentation de la pointe annuelle (actuellement 82 GW). Ces augmentations sont liées aux nouveaux usages[2] et à la part croissante du numérique.

Agora Energiewende et BDEW estiment qu’il faudrait porter la capacité des énergies renouvelables à 270 – 290 GW[3] d’ici 2030, soit un doublement en une décennie (2020 : ~ 132 GW). C’est un boom sans précédent, avec un doublement du rythme annuel d’installation de l’éolien terrestre et un triplement de celui du photovoltaïque[4].

Selon Agora Energiewende, la consommation d´électricité pourrait même dépasser 1 000 TWh/an à l´horizon de 2045, avec une capacité de plus de 600 GW d´énergies renouvelables, encore un doublement par rapport à l´objectif de 2030. Comment y parvenir, ne serait-ce qu´en raison de la disponibilité restreinte de la surface disponible et des longs délais de réalisation des nouveaux projets ?

C’est une tâche herculéenne dans la mesure où l´Allemagne persiste dans son refus du nucléaire, et  son gouvernement doit agir rapidement.

Une lente modernisation des réseaux électriques

Le développement massif de l’injection de la production des énergies renouvelables dans les réseaux électriques, ainsi que la croissance des nouveaux usages et des stockages décentralisés, pose également un défi majeur aux quatre gestionnaires des réseaux de distribution.

Alors que selon BDEW une accélération de la modernisation des réseaux électriques est indispensable [4], celle-ci accuse en 2020 un retard d´environ 5 ans par rapport au planning initial de 2010 (Cour des Comptes) [6]. Le nouvel objectif requiert des nouvelles lignes de transport d’électricité ainsi qu’un renforcement et une modernisation des réseaux. Sur les 12 200 km concernés, seuls 14 % ont été réalisés aujourd’hui.

La perspective d’une gestion de pénurie d´électricité à l´horizon de 2030

L´Allemagne a décidé de sortir du nucléaire d´ici fin 2022, soit une perte de capacité de 8,1 GW des six centrales encore connectées au réseau en 2020. Par ailleurs, il n´est pas exclu que la sortie du charbon, actuellement prévue pour 2038 soit avancée à 2030, entrainant l’arrêt prématuré d´une capacité supplémentaire de 17 GW.

Comment remplacer les centrales nucléaires et à charbon par des moyens pilotables à gaz , dits « H2-ready », hautement flexibles, consommant au départ du gaz naturel, puis de l´hydrogène ? Selon Agora Energiewende, il faudrait 20 GW supplémentaires d´ici 2030[5], alors que les 30 GW de centrales à gaz existants sont déjà soumis à une pression économique considérable. En effet, les nouveaux investissements ne sont pas rentables et le gouvernement n´offre pas les incitations nécessaires au remplacement des centrales à charbon par des centrales à gaz. Or, c’est la crédibilité de la transition énergétique qui serait mise à mal par le non retrait définitif du réseau des centrales à charbon en raison du développement insuffisant des énergies renouvelables et de moyens pilotables à faible émission de CO2.

Selon la Cour des Comptes, la sécurité d´approvisionnement en électricité est soumise à des risques, dont la gestion est lacunaire, et dont le gouvernement n´a pas pleinement pris conscience [6]. Les hypothèses retenues sont soit optimistes, soit peu réalistes. Elles devraient être révisées en urgence en tenant compte des évolutions actuelles et des incertitudes affectant l´offre et la demande d´électricité. Au vu des incertitudes sur les moyens de production pilotables existants et à venir, l’Allemagne devrait évoluer d’une position exportatrice à une position importatrice.

Un risque allemand mais également européen.

L´orientation vers un mix électrique européen à forte proportion d´énergies renouvelables intermittentes (solaire, éolien), avec l´abandon des moyens pilotables, représente aussi un immense défi pour le maintien de la sécurité d’approvisionnement en Allemagne autant qu’en Europe. À l´absence de capacités de stockage à grande échelle pour pallier les épisodes de production quasi nulle d´éolien et de solaire, s’ajoute la croissance de la consommation d’électricité par de nouveaux consommateurs dans toute l’Europe.

Des coûts élevés de l´électricité pour les ménages et le PME

La Cour des Comptes allemande critique également les niveaux de prix de l´électricité pour les ménages et les PME, qui se situent en tête du classement européen. Environ trois quarts de la tarification de l´électricité résultent des postes réglementés par l´État, essentiellement la charge de soutien des énergies renouvelables et le tarif d’utilisation des réseaux. Les objectifs retenus, poursuite du développement massif des énergies renouvelables, modernisation du réseau électrique et croissance de la taxe sur le CO2, risquent d´aggraver l´augmentation des prix de l’électricité. La Cour Fédérale des Comptes estime que le maintien de la stratégie actuelle pourrait dépasser la capacité financière des consommateurs finaux et compromettre l’économie allemande ainsi que l´acceptation sociétale de la transition énergétique.

Une réforme fondamentale de la tarification de l´électricité réglementée est nécessaire et, selon BDEW, la part de soutien aux énergies renouvelables offre le plus grand potentiel d´allègement. C´est pourquoi le nouveau gouvernement devrait réduire progressivement cette charge à zéro d´ici 2026 au plus tard, et renoncer ainsi complètement au financement des énergies renouvelables par les consommateurs d’électricité. Le soutien aux projets existants et émergents ne serait pas affecté, celui-ci étant intégralement repris par l´État, à travers des recettes croissantes provenant de la taxe carbone [8].

Un mauvais pilotage de la transition énergétique

Selon la Cour des Comptes, la transition énergétique est mal gérée, avec une multitude d’intervenants (6 ministères, 16 länder, 40 comités) et l’absence de responsabilité globale [9].

Si l´Allemagne a atteint son objectif de réduction des émissions de GES de 40 % par rapport à 1990 et manqué de peu la réduction de 20 % de sa consommation d’énergie, c’est en partie grâce à la crise sanitaire de 2020. À terme, il n´est pas exclu que certains indicateurs repassent nettement en dessous des valeurs fixées dans les objectifs.

Au vu de l´ampleur de la tâche, BDEW estime que la création d´un Super-Ministère de la protection du climat devrait rassembler les compétences actuellement dispersées, car il s´agit d’une transformation quasi complète en 24 ans d’un système électrique majeur et éprouvé [11].

Conclusion

L´avenant à la Loi sur la protection du climat instaure un cadre pour les prochaines années et décennies qui doit être précisé. Il est toutefois regrettable que l´Allemagne ne mène pas une politique climatique en coordination avec ses partenaires européens.

La protection du climat et la transition énergétique seront certainement des sujets clés de la campagne électorale en vue des élections fédérales fin septembre 2021. Les défis sont gigantesques, à la limite de la faisabilité et de l´acceptabilité sociétale. Les ambitions de l’Energiewende, qui ont été largement reprises par la Commission européenne, seront à l’épreuve des faits dans les prochaines années. L’Europe, et la France en particulier devraient en suivre de près l’avancement et les conséquences.

 

[1] par exemple, un soutien au développement des électrolyseurs offshore pour la production d´hydrogène vert en mer

[2] 14 millions de voitures électriques, 5 à 6 millions de pompes à chaleur et 15 GW d´électrolyseurs (BDEW)

[3] 80 – 100 GW éolien terrestre, 25 GW éolien en mer et 150 GW photovoltaïque

[4] De 2010 à 2020, l´augmentation annuelle moyenne de la puissance éolienne terrestre a été de 2,8 GW et celle du photovoltaïque 3,6 GW /5/

[5] centrales à gaz ou à cogénération, turbines à combustion

 

Références

1 Allemagne-Energies (2021) Le Conseil des Ministres allemand adopte le 12 mai 2021 le projet révisé de la Loi Fédérale sur la Protection du Climat (Bundes-Klimaschutzgesetz) suite au jugement de la Cour Constitutionnelle Fédérale, en ligne : https://allemagne-energies.com/2021/05/13/le-conseil-des-ministres-allemand-adopte-le-12-mai-2021-le-projet-revise-de-la-loi-federale-sur-la-protection-du-climat-bundes-klimaschutzgesetz-suite-au-jugement-de-la-cour-constitutionnelle-feder/

2 Bundesregierung (2021) Klimaschutzgesetz 2021- Generationenvertrag für das Klima, en ligne: https://www.bundesregierung.de/breg-de/themen/klimaschutz/klimaschutzgesetz-2021-1913672

3 Agora-Energiewende (2021) Towards a Climate-Neutral Germany by 2045, en ligne: https://www.agora-energiewende.de/en/publications/towards-a-climate-neutral-germany-2045-executive-summary/

4 BDEW (2021) Energie macht Zukunft, Handlungsempfehlungen der Energiewirtschaft für die 20. Wahlperiode, en ligne: https://www.bdew.de/energie/energie-macht-zukunft/

5 BMWi (2021) Zeitreihen zur Entwicklung der erneuerbaren Energien in Deutschland. En ligne : https://www.erneuerbare-energien.de/EE/Navigation/DE/Service/Erneuerbare_Energien_in_Zahlen/Zeitreihen/zeitreihen.html

6 Allemagne-Énergies (2021) La Cour des Comptes allemande critique à nouveau la transition énergétique du gouvernement fédéral, en ligne : https://allemagne-energies.com/2021/04/06/la-cour-des-comptes-allemande-critique-a-nouveau-la-transition-energetique-du-gouvernement-federal/

7 BNetzA (2021) Netzausbau. Monitoringbericht. Bundesnetzagentur. En ligne: https://www.netzausbau.de/Vorhaben/uebersicht/report/de.html

8 Allemagne-Énergies (2020) L´Allemagne instaure la « taxe carbone » à partir de 2021 dans les secteurs non couverts par le système européen d´échange de quotas d´émission, en ligne : https://allemagne-energies.com/2020/10/10/lallemagne-instaure-la-taxe-carbone-a-partir-de-2021-dans-les-secteurs-non-couverts-par-le-systeme-europeen-dechange-de-quotas-demission/

9 Allemagne-Énergies (2018) Selon la Cour des comptes allemande la transition énergétique est au bord de l´échec, en ligne : https://allemagne-energies.com/2018/09/28/selon-la-cour-des-comptes-allemande-la-transition-energetique-est-au-bord-de-lechec/

10 McKinsey (2021) Energiewende-Index. McKinsey & Company. En ligne : https://www.mckinsey.de/energiewendeindex.

11 BDEW (2021) BDEW-Präsidentin Wolff: „Wir brauchen in der nächsten Legislaturperiode ein ressortübergreifendes Klimaschutzministerium“, en ligne : https://www.bdew.de/presse/presseinformationen/bdew-praesidentin-wolff-wir-brauchen-in-der-naechsten-legislaturperiode-ein-ressortuebergreifendes-klimaschutzministerium/

12 BDEW (2021) Zahl der Woche / 30.06.2021/ Stromverbrauch: Auf rund 700 Milliarden Kilowattstunden wird der Strombedarf in Deutschland laut BDEW-Berechnungen bis zum Jahr 2030 steigen, en ligne : https://www.bdew.de/presse/presseinformationen/zahl-der-woche-stromverbrauch-auf-rund-700-milliarden-kilowattstunden/

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