Intermythence (sic) en Allemagne :

14 / 09 / 2022

« Intermythence » en Allemagne

LE POINT DE VUE DE PNC-FRANCE

Le mois dernier, PNC-France présentait sur son site un article « La crise de l’énergie en Europe : une bataille de charbonniers » (https://www.pnc-france.org/la-crise-de-lenergie-en-europe-une-bataille-de-charbonniers/) dans lequel, entre autres, l’impact de l’électricité intermittente en France était analysé, avec une projection aux années 2030 et 2050 dans les perspectives du programme proposé par le Président de la République en début d’année pour 2030 d’une part, du scénario de référence de Réseau de Transport d’Électricité (RTE) pour 2050 d’autre part. Cet article exposait également la fragilité française qui résulte d’une insuffisance d’analyse prospective conduisant, depuis une quinzaine d’années, à un manque de capacité de production pilotable lié à l’arrêt des centrales à charbon et des deux réacteurs nucléaires de Fessenheim.

PNC-France estime utile de présenter l’analyse d’un de ses experts, « L’intermythence » , qui expose la situation de l’Allemagne et sa double caractéristique :

  • d’un développement très accéléré des capacités intermittentes déjà à un niveau très supérieur (de 60 %) à celui envisagé en France pour 2030, associé à une électricité préférentiellement à base de charbon et lignite.
  • et d’une prudence qui l’a conduite à préserver la capacité charbon arrêtée, en réserve pour les périodes de pointe, contrairement à ce qui a été décidé en France avec des mises à l’arrêt définitives. Elle dispose donc encore d’une capacité pilotable robuste.

Ces deux caractéristiques ont, cependant, pour conséquence le bien peu vertueux maintien d’émissions élevées de CO2.

Pour nous qui n’avons su préserver notre capacité pilotable, la difficulté est déjà là. Notre suivi de charge est fragilisé par la violence et l’imprévisibilité des fluctuations de production, déjà bien perceptible en Allemagne. Il faudra rétablir notre capacité à ajuster la production à la consommation, à la seconde près, avec une combinaison de moyens pilotables de production, de stockages et de flexibilités. Il est indispensable de rappeler les quatre conditions et prérequis conjoints relevés par le Président de RTE en 2021 en matière de faisabilité technique pour un système électrique avec une forte proportion d’énergies renouvelables à l’horizon 2050, sans préjuger de son coût :

  • Démonstration à grande échelle de l’impact de celles-ci sur la sûreté du système électrique
  • Développement de sources considérables de flexibilité
  • Constitution d’amples réserves opérationnelles européennes
  • Développement de réseaux d’électricité adaptés aux puissances véhiculées et à leurs dispersions, tant au niveau du transport que de la distribution.

Aucun de ces prérequis n’est aujourd’hui démontré en Allemagne qui doit déjà évacuer ses surproductions intermittentes vers les pays voisins, via les interconnexions transfrontalières, ce qui deviendra impossible quand ces derniers auront, conformément aux exigences européennes, eux-mêmes développé massivement éolien et solaire dans un espace climatique limité .

ILLUSTRATION :  Jean-Pierre PERVES

 

TEXTE :

Intermythence (sic) en Allemagne :   « Il y a toujours du vent quelque part », dit-on …

François Poizat, expert PNC-France

Certes, notre sphère terrestre étant constamment balayée par l’atmosphère … Pour autant, peut-on s’en remettre à cette énergie renouvelable pour subvenir à nos besoins, voire à un solaire diurne et saisonnier ?

L’Allemagne a massivement investi dans cette perspective, son système électrique, double du nôtre, étant composé, à ce jour, de presque 65 GW éoliens et 62 GW solaires (en comparaison des 61 GW du nucléaire français). C’est pourquoi nous étudions ici ce cas illustratif du futur qu’on nous promet depuis plusieurs quinquennats, d’autant qu’il est remarquablement documenté, en temps réel et en français, par le site www.energy-charts.de ( Fraunhofer-Institut für Solare Energiesysteme ») de Freiburg-im-Breisgau, voué à la promotion de l’emblématique Energiewende.

Encore ne faudrait-il pas, comme trop de nos politiciens et journalistes le font délibérément ou naïvement, confondre puissance et énergie, c’est-à-dire kilowatt (kW) et kilowattheure (kWh). Leur arriverait-il de confondre distance parcourue et vitesse, kilomètre (km) et kilomètre par heure (km/h [1]) ? De fait, comme pour le parcours d’un véhicule, tout est affaire de durée de fonctionnement, d’autant qu’il est rare qu’un vent constant dure plus de quelques minutes (sans parler du soleil dont le cycle diurne n’échappe à personne). Aussi doit-on insister sur la notion de facteur de charge, sorte de rendement d’un moyen de production : il s’agit du rapport de l’énergie effectivement fournie, pendant un temps donné, à l’énergie que ce moyen produirait s’il fonctionnait constamment à sa puissance nominale. Ainsi, constate-t-on que, durant les 8760 heures de l’année 2021, les 8,11 GW des réacteurs nucléaires encore en activité outre-Rhin produisirent 65,4 TWh (milliards de kWh [2]) alors que, théoriquement, ils eussent dû fournir 8760 x 8,11 = 71 043,6 GWh ou 71,04 TWh. Ainsi constate-t-on que nos voisins ont encore exploité cet horrifique filon, à 92,1 % de ses capacités ! Revenons au vent ! Et constatons que, sur le territoire allemand et cette année-là :

  • l’éolien terrestre n’a été pleinement productif [3] que 18 % du temps,
  • l’éolien offshore a eu une efficacité presque double (35,3 %, et non 45 % comme souvent affirmé) mais …
  • que, en moyenne, terre et mer additionnées, l’éolien a donné à peine 20 %.

A quoi cela tient-il ? A d’énormes fluctuations instantanées, de presque rien (0,14 GW le 26 juin) à un remarquable 46 GW, le 30 novembre de la même année. Fluctuations qui peuvent être durables, et des productions hebdomadaires pouvant passer, comme en 2020, d’une semaine à l’autre, de 6 TWh en hiver à 0,4 TWh en été. Peut-être ces années n’ont-elles constitué qu’une malheureuse exception ? Hélas non, les 13 dernières années ont été très similaires, et les pannes de vent (facteur de charge inférieur à 1 %) sont récurrentes et aléatoirement réparties dans l’année (même si le vent est, globalement, plus productif en hiver et automne). On invoque parfois la complémentarité temporelle des fermes éoliennes terrestres et maritimes. Eh ! Bien ! Non, une telle complémentarité n’existe pas, si ce n’est à la marge comme le montre le graphe ci-dessous :

La production photovoltaïque, elle, est assez prédictible …
même si elle n’est évidemment pas constante. On notera d’abord que ce mode de production a, si l’on peut dire, le vent en poupe, le parc solaire ayant progressé d’environ 10 % durant la dernière année et déjà de 3,7 % au premier semestre 2022. Bien sûr, la production solaire, plus généreuse en Bavière qu’en Poméranie, culmine à la mi-journée mais on ne mesure pas assez combien ces pics solaires méridiens varient considérablement d’un solstice à l’autre, mais aussi tout au long de l’année.
On objectera qu’il est plus pertinent de s’intéresser à la production hebdomadaire pour faire abstraction des inévitables journées nuageuses. Sans surprise, la contribution hebdomadaire en énergie estivale peut être 25 fois plus importante qu’en début ou fin d’année.  Il n’en demeure pas moins que, ramené aux 24 heures d’une journée, le facteur de charge du photovoltaïque varie de moins de 1 % à presque 24 %, ce qui est considérable. L’intermittence de l’énergie solaire ne constituant pas un scoop, il est plus important, pour la stabilité d’un réseau électrique, de s’intéresser à sa dynamique : mesure-t-on bien que, aux alentours de juin-juillet, à 13 h, le réseau peut bénéficier de l’apport des 2/3 de la puissance photovoltaïque installée (plus de 40 GW le 17/7/2022), ce qui est indubitablement une bonne chose ! Mais, l’après-midi qui suit, il faudra compenser son retrait aussi rapidement, ce qui implique de redémarrer une armada d’installations pilotables, l’équivalent de 40 réacteurs nucléaires, pour rétablir l’équilibre du réseau (grâce à l’hydraulique et, surtout, aux fossiles), jusqu’à plus de 9 GW par heure.   NB : le prix spot de l’électricité est censé refléter les fluctuations de l’obligatoire équilibre production/consommation. Paradoxalement, on observe depuis peu une exacerbation de la pointe vespérale due à deux facteurs : l’énormité des gradients dus au photovoltaïque mais aussi l’attrition des moyens pilotables, tant en Allemagne (aggravée par la pression russe sur le gaz) qu’en France (avec l’arrêt d’une dizaine de réacteurs, par suite de nos problèmes de corrosion). Les prix négatifs (quand les intermittentes sont … intempestives) ont quasiment disparu outre-Rhin, mais le prix moyen s’envole : presque 800 €/MWh le 18/7/2022 à 20 h, c’est-à-dire 19 fois le tarif ARENH auquel EDF est tenue de vendre son électricité nucléaire à ses propres concurrents ! Il est vrai que la contribution éolienne dépassait alors à peine 0,9 GW ! Alors, intermittence ou « intermythence » ? Pour les écologistes, l’intermittence relève du mythe. Denis Baupin, le premier, affirma que « l’éolien n’est pas intermittent, il est variable et c’est le nucléaire qui est intermittent ». Encore récemment (23/10/2021, sur France-Inter), le porte-parole de Yannick Jadot, Matthieu Orphelin, traitait l’intermittence de simple « idée reçue ». Ces expéditives déclarations n’expliquent pas pourquoi notre vertueux voisin a encore assuré près de la moitié de sa production d’électricité (491,8 TWh) à partir de sources d’énergies carbonées (plus un peu de … nucléaire). Comparer la première figure de l’article, qui donne les puissances (en GW) et cette dernière, qui donne la production (en TWh), est particulièrement parlant, surtout compte tenu de l’obligation qu’ont les gestionnaires de réseaux d’accepter toute la production intermittente, à tout moment !

Et, plus grave, tout accroissement du parc solaire ne fera qu’aggraver, proportionnellement,  les excessifs gradients de puissance sus-dits (auxquels pourrait s’ajouter un sérieux coup de pouce d’un éolien lui-même très capricieux), sans vraiment pallier les absences hivernales de notre astre solaire : « Dispatchers, à vos manettes ! », donc …  

[1] Unité de vitesse trop souvent et improprement prononcée « kilomètre-heure » (kmh) !

[2] Les multiples k (kilo), M (méga,) G (giga) et T (téra) traduisent une gradation de mille, million, milliard et billion.

[3] Une éolienne ne fournit de l’électricité que si la vitesse du vent, à hauteur de son moyeu, est supérieure à 3 ou 4 m/sec mais ne dépasse pas (pour des raisons de sécurité) 25 m/sec (soit 90 km/h).

Lire l’intégralité du texte de François POIZAT au format pdf :

Intermythence (sic) en Allemagne : « Il y a toujours du vent quelque part », dit-on …

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