CRE, ARENH et le scandale des prix de l’électricité en 2023

15 / 12 / 2023

CRE, ARENH et le scandale des prix de l’électricité en 2023

POINT DE VUE DE PNC-France, Jean-Pierre PERVÈS, Groupe d’experts

En ce mois de décembre 2023 une consultation est en cours sur le « Projet de dispositif de protection des consommateurs d’électricité à partir du 1er janvier 2026 », titre qui se réfère en fait à un dispositif, l’Accès Régulé au Nucléaire Historique (ARENH), qui doit disparaître fin 2025. Ce dispositif offre en effet depuis 2012 une part très significative de la production nucléaire d’EDF, à prix cassé et résolument maintenu à très bas niveau depuis 13 ans, au bénéfice de revendeurs d’électricité et aux dépens d’EDF.

Ne faut-il pas en déduire que, s’il faut protéger les consommateurs à partir de 2026, c’est qu’ils ne l’étaient pas antérieurement avec cet ARENH ? C’est ce que l’analyse jointe de Georges Sapy « le scandale des prix de l’électricité en 2023 » démontre clairement en révélant une foi de charbonnier de l’administration française, et de la Commission de Régulation de l’Energie en particulier (CRE), dans un marché européen de l’électricité dominé par le gaz naturel et livré aux spéculations, mais également des actions allant souvent à contresens, faute d’une analyse objective d’une crise de l’électricité devenue majeure.

PNC-France a envoyé au gouvernement sa contribution à la consultation en cours, mais a aussi souhaité apporter à ses lecteurs l’analyse jointe, un retour d’expérience très documenté et précis. Quel futur ? Comment faire en sorte que le prix de l’électricité en France soit cohérent avec le coût de production national ? Comment soutenir notre industrie et protéger nos concitoyens ? Les décisions à prendre dans l’année qui vient en France, le recadrage du rôle de l’Europe, sont d’une importance extrême.

ILLUSTRATION de  Nicolas WAECKEL

11 décembre 2023

Le scandale des prix de l’électricité en 2023

Faillite du marché à terme, conseils à contre-temps de la CRE

ARTICLE DE Georges SAPY, PNC-France

Ce scandale peut se décliner en cinq actes :

* ACTE 1 : en août 2022, les prix du gaz s’envolent à près de 300 €/MWh. Les prix « spot » (du jour pour le lendemain) sur le marché de gros de l’électricité, largement corrélés aux prix du gaz, s’envolent à leur tour à environ 700 €/MWh.

Mais le marché à terme pour des livraisons au 1er trimestre 2023 fait beaucoup mieux encore (voir figure ci-dessus publiée par RTE dans Réf.[1]) : les cotations atteignent pendant quelques jours près de 1 900 €/MWh (!!!) avant de redescendre vers 1 000 €/MWh (!!) et y rester jusqu’à fin octobre pour ensuite amorcer une baisse avec un passage vers 800 €/MWh début novembre puis vers 600 €/MWh fin novembre, baisse qui s’est ensuite poursuivie jusque vers 250 €/MWh fin décembre.

* ACTE 2 : le 08-11-2022, la CRE (Commission de Régulation de l’Energie) a « vivement encouragé » les entreprises et les acteurs publics à choisir leurs fournisseurs d’électricité avant la mi-novembre 2022, pour être certains de bénéficier de l’ARENH en 2023. Voici en effet ce qu’on pouvait lire sur Cre.fr : https://www.cre.fr › actualites › la-cre-encourage-vive…

« La CRE met à jour ses références de prix indicatives de l’électricité pour les PME, les collectivités territoriales et les acheteurs soumis au code de la commande publique. Ces références de prix doivent permettre aux PME et aux collectivités locales amenées à souscrire ou renouveler prochainement un contrat de fourniture d’électricité pour 2023, de s’assurer que les offres de leurs fournisseurs sont compétitives et reflètent bien la réalité des coûts d’approvisionnement ».

« À l’occasion de cette mise à jour, la CRE encourage vivement les PME, les collectivités territoriales et les acheteurs soumis à la commande publique à choisir leurs fournisseurs d’électricité dans les prochains jours pour avoir la certitude de bénéficier de l’ARENH dans leurs prix de l’électricité. De nombreux fournisseurs prévoient en effet de réduire drastiquement leurs offres incluant de l’ARENH après le guichet du 21 novembre 2022. Les fournisseurs ont besoin par ailleurs d’un délai de quelques jours avant le guichet pour préparer leurs demandes d’ARENH. En conséquence, il est recommandé de signer ou renouveler les contrats dans les prochains jours, et au plus tard autour du 15 novembre ».

Cette recommandation de la CRE a été relayée sur les ondes nationales par sa Présidente elle-même dans les jours qui ont suivi.

* ACTE 3 : de très nombreux clients, notamment artisans, petits industriels, etc. dont les contrats se terminaient fin 2022, suivent les recommandations de la CRE et souscrivent des contrats, la plupart du temps fermes pour l’année 2023, dans les conditions de marché prévalant lors de la première quinzaine de novembre.

Un exemple de prix d’un contrat réel HTA signé à cette date pour la fourniture d’environ 270 MWh sur le 1er trimestre 2023 est donné dans le tableau ci-dessous (la confidentialité des affaires ne permet pas d’en citer le fournisseur et le titulaire, mais les prix indiqués, arrondis à l’euro le plus proche, sont rigoureusement exacts). Et nul doute qu’une enquête auprès de consommateurs qui ont dû renouveler leurs contrats dans les mêmes conditions aboutirait à des ordres de grandeur similaires, soit un prix HT moyen exorbitant de l’électricité (hors toutes autres charges) de l’ordre de ≈ 690 €/MWh, comme le montre le résultat suivant :

Périodes de prix HPH (1) HCH (2) HPH + HCH
Nombre d’heures par période (h) 2 057 1 543 3 600
Tarif HT de l’énergie sur la période (€/MWh) ≈ 1 023 ≈ 253 Moyenne pondérée ≈ 693

(1) Heures Pleines Hiver – De Novembre à Mars : toutes heures hors Heures Creuses Hiver
(2) Heures Creuses Hiver – De Novembre à Mars : 22h00 – 06h00 du lundi au samedi et toutes les heures des dimanches

* ACTE 4 : les prix à terme continuent à baisser en décembre jusque vers 250 €/MWh mais SURTOUT, dès janvier 2023, les prix « spot » journaliers se situent systématiquement au-dessous de 200 €/MWh et, en moyenne sur 3 mois, à un peu moins de 150 €/MWh (voir à nouveau figure ci-dessus).

Voilà donc le consommateur précité qui, piégé par son contrat annuel, paie en moyenne son électricité 690 €/MWh au moment où le prix « spot » est, en moyenne journalière, inférieur à 150 €/MWh ! La différence, soit 690 – 150 = 540 €/MWh est abyssale et représente près de… 13 fois le prix ARENH de 42 €/MWh ! C’est un scandale absolu qui, en l’absence de l’instauration d’un « bouclier tarifaire » par le gouvernement, aurait eu des conséquences dévastatrices sur de très nombreuses entreprises et sur l’économie du pays en général.

Ce bouclier tarifaire a effectivement notablement réduit les prix pour les consommateurs qui en ont bénéficié. Grâce à ce dernier, le client précité a ainsi probablement pu récupérer environ 350 €/MWh (estimation très approximative), ce qui a pu ramener le prix de son électricité à environ 690 – 350 = 340 €/MWh pour le 1er trimestre 2023. Réduction certes très importante, mais qui a laissé subsister un prix de l’électricité encore plus de 2 fois supérieur au prix « spot » de la période… Malgré ce bouclier, les conséquences n’ont donc pas été négligeables, à commencer par une inflation générale des prix qui a affecté une grande partie de l’économie et de la population.

Tout cela sans compter un coût budgétaire de plusieurs dizaines de milliards d’euros pour l’Etat, que les contribuables paieront in fine un jour ou l’autre… C’est l’autre face de ce scandale, créé de façon totalement artificielle par le marché, ces prix à terme n’ayant aucune réalité tant ils sont éloignés des prix réels de production du mix électrique français, dont l’essentiel constitué d’électricité d’origine nucléaire et hydraulique, a un prix récemment estimé à environ 70 €/MWh.

* ACTE 5 : il reste à être joué… Dans un pays bien gouverné, un retour d’expérience de ce fiasco dévastateur du marché à terme de l’électricité et des erreurs de diagnostic de la CRE devrait être diligenté, d’abord pour comprendre, ensuite pour en tirer les leçons afin d’éviter sa reproduction. Deux responsabilités majeures se font jour :

° D’abord, celle du marché à terme de l’électricité, qui a totalement failli

Comme noté plus haut, ce marché s’est d’abord complètement emballé au cours de l’été 2022 en postulant des prix à terme de l’électricité délirants allant jusqu’à… 1 900 €/MWh, se calmant ensuite pour passer à environ 1 000 €/MWh à fin octobre, puis à environ 800 €/MWh début novembre et à moins de 600 €/MWh fin novembre. Mais il aura fallu attendre fin décembre et une réestimation voisine de 250 €/MWh pour que le marché évalue de façon un peu plus réaliste (mais encore avec un excès de 100 €/MWh !) le prix à terme… des 3 mois qui suivaient : le marché a été complètement myope et n’a délivré qu’à la dernière minute un prix de très court terme, encore surestimé…

Comment expliquer un tel fiasco ? Plusieurs hypothèses peuvent être envisagées : (i) des modèles d’élaboration de prix de marché faux ou très mal étalonnés ; (ii) des « traders » dont la préoccupation essentielle était de prendre des primes de risques les plus élevées possibles pour être assurés de faire de gros bénéfices à tous les coups ; (iii) un manque total de jugement critique au regard de résultats aussi aberrants que ceux évoqués ci-dessus, tant ils étaient éloignés de toute réalité représentative du mix français ; ou un mélange de ces différentes hypothèses… ou d’autres encore ?

RTE (voir figure ci-dessus) évalue cette prime de risque moyenne à 400 €/MWh, qu’il qualifie comme suit dans le même document : « Au regard des fondamentaux technico-économiques, les primes de risque observées sur les prix à terme de l’électricité en France en 2022 et 2023 apparaissent largement surévaluées par rapport aux risques réels sur la sécurité d’approvisionnement ». On ne saurait mieux dire, cette prime exorbitante représentant près de 3 fois le prix « spot » moyen observé au 1er trimestre 2023, inférieur à 150 €/MWh… D’où la question : peut-on encore accorder la moindre confiance au marché à terme de l’électricité ?

° Ensuite, celle de la CRE, avec une recommandation à contre-temps suggérant une absence d’analyse

Une certitude s’impose : des contrats souscrits entre le 15 et le 31 décembre l’auraient été aux alentours de 250 €/MWh maximum, au lieu de 600 à 700 €/MWh juste après le 8 novembre 2022. Sous cet angle, la recommandation de la CRE apparaît comme étant totalement à contre-temps. Aurait-elle pu être différente ? On peut s’interroger sur au moins deux points :

– Comme souligné plus haut, une baisse quasi-continue des prix à terme était visible depuis fin octobre et avait déjà atteint plus de 400 €/MWh début novembre. La CRE en a-t-elle fait l’analyse pour examiner, d’une part les effets d’une prolongation probable ou au moins possible de cette tendance, d’autre part l’intérêt réel de l’acquisition d’un quota d’ARENH, sachant que ce dernier serait faible car fortement écrêté du fait de sa très forte demande, facteur que la CRE ne pouvait ignorer dès cette époque ?

– La CRE s’est-elle interrogée sur les valeurs délirantes des prix à terme, qui pouvaient sans doute refléter ceux d’épisodes ponctuels de pointe, mais difficilement une moyenne sur 3 mois ? Ou faut-il en déduire que sa « croyance » aux vertus supposées du marché l’a privée de tout esprit critique ?

 

En conclusion, suite de ce désastre, deux questions concrètes se posent pour l’avenir :

° D’abord celle de l’intérêt du maintien d’un marché à terme qui a failli à ce point, la CRE voulant pourtant lui voir jouer un rôle au-delà de 3 ans (sa durée actuelle d’anticipation) pour pense-t-elle… « orienter les investissements à long terme » des moyens de production. Qui peut y croire ?

° Ensuite, celle des enrichissements sans cause probablement très importants qui ont résulté des prix  du marché à terme. On connaît de façon certaine ce que les consommateurs ont payé au prix fort et ce que le budget de l’Etat a déboursé, là encore au prix fort, pour soutenir les consommateurs au nom des contribuables. Il s’agit de plusieurs dizaines de milliards d’euros.

Il serait plus qu’utile de savoir dans quelles poches ces sommes gigantesques, sans rapport avec les prix réels du mix électrique français, ont atterri. Ceci afin d’en tirer toutes les conséquences.

*******

[1] https://assets.rte-france.com/prod/public/2023-09/Bilan-previsionnel-2023-principaux-resultats.pdf

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