La radioactivité serait-elle le principal impact du numérique sur l’environnement ???

31 / 05 / 2023

POINT DE VUE de PNC-France :  Jean-Pierre PERVÈS (Groupe d’Experts PNC-France)

 

Désinformer en « informant »

Exemple d’un article sur l’impact de la radioactivité dans le numérique 

PNC-France s’insurge !

 

Dans les profondeurs d’un article du journal Le Monde du 1er mai 2023 sur « la recherche au défi de la sobriété énergétique du numérique », une surprenante information s’impose sans autres explications :  la radioactivité serait le premier responsable de l’impact sur l’environnement du numérique !

La note jointe  d’un médecin, Jean-Louis Fénolland, remonte aux sources de cet article et montre comment, pour évaluer l’impact environnemental du numérique, deux organismes n’ayant pas les compétences nécessaires, l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) et l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse), ont choisi un modèle recommandé par Direction Générale de l’Environnement de la Commission Européenne. Or ce modèle est totalement inadapté à une évaluation de la réalité des expositions humaines aux rayonnements et, de plus, il ne suit pas les recommandations de la CIPR (Commission internationale de protection radiologique) concernant l’évaluation des impacts sanitaires des rayonnements. Il est pourtant proposé par la Commission européenne dans son projet dénommé « Product Environmental Footprint », ce qui ne surprendra personne et qu’il faudra combattre.

Au-delà d’une information déjà très contestable, c’est plus encore la méthode de présentation qui est condamnable, car elle conduit à créer, et c’est conforme au parti pris de l’ADEME, un sentiment de danger, à développer une peur du nucléaire. En effet l’article ne présente que des pourcentages et, à aucun moment, des valeurs qui pourraient permettre d’évaluer la réalité d’un danger.

Quelques rappels pour mieux comprendre :

  • Selon le groupe de travail « numérique » du gouvernement  (avril 2023), le numérique consomme 10 % de l’électricité en France.
  • Selon L’IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire), l’exposition du public due à l’ensemble des activités nucléaires industrielles et militaires françaises est de 0,012 mSv/an (une unité, le millisievert,  qui quantifie l’impact sanitaire des rayonnements). C’est moins de trois millièmes de l’exposition moyenne dans notre pays (4,5 mSv), qui résulte essentiellement de la radioactivité naturelle et des usages médicaux.
  • Mieux encore, les seules centrales et installations industrielles nucléaires civiles ne contribuent que très marginalement, 1/1000 mSv/an, aux expositions liées aux activités nucléaires industrielles.

Faisons le compte : le numérique (télévision, téléphone, ordinateurs, centres de calcul, …) consomme aujourd’hui 10 % de notre électricité et celle-ci ne contribue, pour ceux qui sont les plus proches d’installations nucléaires, qu’à moins de 0,3 millièmes de l’exposition moyenne aux rayonnements ionisants d’un français. Le numérique ne représente donc que 0,03 millièmes de notre exposition ! La contribution de la radioactivité à l’impact du numérique sur la population et sa santé est donc insignifiant.

Et le chiffre présenté (voir article joint) évalue un impact « environnemental » (et non sanitaire) du nucléaire exprimé en « kBq U235 eq », et le compare à celui d’autres impacts exprimés en unités plus que diverses (voir le deuxième tableau de l’article). C’est le mariage de la carpe et du lapin et une présentation fausse et trompeuse !

PNC-France s’insurge d’une manipulation de l’opinion par une agence nationale, l’ADEME, malheureusement coutumière du fait, et de l’absence d’attitude interrogative d’un journal qui aurait pu très facilement vérifier la pertinence de sa source en se tournant vers l’IRSN, organisme chargé en France de la surveillance radiologique de l’environnement et de la radioprotection de l’homme.

 

ILLUSTRATION : Nicolas WAECKEL

 

ARTICLE :

La radioactivité serait-elle le principal impact du numérique sur l’environnement ???

Jean-Louis Fénolland – Médecin, Expert PNC-France 

 

Dans un article du journal Le Monde a publié le 1er mai dernier intitulé « La recherche au défi de la sobriété énergétique du numérique », une infographie reproduite ci-dessous a retenu notre attention car elle place les radiations ionisantes au premier rang des impacts environnementaux du numérique alors que les doses  environnementales de radioactivité sont très inférieures à la radioactivité naturelle et qu’il n’a jamais été observé d’effet sur la santé humaine dans ce domaine des doses de radioactivité très faibles.

Le « carbone » n’est pas le premier impact environnemental du numérique sur l’environnement.

Dans les jours suivants, le journal Libération dans sa rubrique « CheckNews » indique que « Les valeurs présentées par le Monde ne sortent pas de nulle part, puisqu’on les retrouve à l’identique à la page 97 d’un rapport conjoint de l’ADEME et de l’Autorité de régulation des communications électroniques (Arcep) intitulé « Évaluation de l’impact environnemental du numérique en France et Analyse prospective » ». (https://www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/etude-numerique-environnement-ademe-arcep-volet02_janv2022.pdf)

On retrouve effectivement à la page 97 le tableau 63 ci-après et la valeur de 28.2% reprise dans l’article du Monde :

À la page 25 du même rapport on trouve la référence du modèle qui a été retenu par les auteurs (Ademe et Arcep) pour caractériser l’impact « rayonnements ionisants, santé humaine ».
L’utilisation de ce modèle est recommandée par la Direction Générale de l’Environnement de la Commission Européenne en 2021 comme indiqué dans le tableau page 25 des annexes 3-4. (https://wayback.archive-it.org/org-1495/20221005180927/https://environment.ec.europa.eu/publications/recommendation-use-environmental-footprint-methods_fr)
Le titre de cette publication publiée en 2000 est « Human health damages due to ionising radiation in life cycle impact assessment ».

En résumé l’évaluation des risques sanitaires est calculée à partir d’une modélisation des rejets et d’une modélisation des expositions des populations sur des durées longues. Les effets sur la santé dus à l’exposition des êtres humains aux radiations ionisantes environnementales sont ensuite calculés statistiquement à partir des données publiées par la CIPR (Commission Internationale de Protection Radiologique) et reprises par l’UNSCEAR (United Nations · Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation).

Dans la pratique, une multitude de toutes petites doses ont été additionnées pour obtenir des doses collectives totales très élevées.

L’unité utilisée pour analyser les expositions et en calculer les effets est le man.Sv qui est l’unité de dose collective.

R. Frischknecht précise le calcul de la dose collective :
Ces doses collectives conduisent ainsi à une évaluation de la contribution des rayonnements ionisants à l’impact environnemental du numérique supérieure au quart du total (28,2 %).

Concernant les doses collectives, dans la publication 103 de 2007, la CIPR précise :

« La définition des grandeurs collectives (…) a entraîné, dans certains cas, l’utilisation incorrecte de la dose efficace collective pour additionner des expositions aux rayonnements dans une large gamme de doses, pendant de très longues durées et dans de vastes régions géographiques, et sur cette base pour calculer les détriments liés aux rayonnements. Cependant, une telle utilisation de la dose efficace collective ne serait significative que si les connaissances étaient suffisantes en termes de coefficient de risque pour les effets nocifs des rayonnements, dans toutes les gammes de doses qui contribuent à la dose collective (…). En raison de grandes incertitudes, de telles connaissances sur les coefficients de risque ne sont pas disponibles dans la gamme des très faibles doses. » (B236)

« La Commission considère que, dans la plage des faibles doses, les facteurs de risque ont un degré d’incertitude élevé. C’est particulièrement le cas pour les très faibles doses individuelles qui ne représentent que de petites fractions de la dose de rayonnement reçue des sources naturelles. L’utilisation de la dose efficace collective ne constitue pas dans ces conditions une procédure valable pour les estimations détaillées du risque. »(B237)

La CIPR 60 de 1990 précisait bien également qu’il ne faut pas utiliser les doses collectives pour calculer un excès de risque dans le domaine des faibles doses.

En radioprotection on utilise le concept de dose collective pour comparer les expositions entre les chantiers et non pour évaluer les risques pour la santé, car ils sont individuels. En conséquence la valeur de 28.4% définie pour caractériser la contribution des radiations ionisantes à l’impact environnemental du numérique est fausse et le document : « Évaluation de l’impact environnemental du numérique en France et Analyse prospective » est entaché d’une très grossière erreur.

En résumé, pour évaluer l’impact environnemental du numérique, l’Arcep et l’Ademe ont choisi un modèle recommandé par Direction Générale de l’Environnement de la Commission Européenne qui est totalement inadapté à la réalité des expositions humaines environnementales, modèle qui de plus n’est pas conforme aux recommandations de la CIPR.

Ce modèle surestime de façon considérable la place des radiations ionisantes dans les impacts environnementaux du numérique.

Les valeurs affichées dans le rapport sont donc inexactes. Elles doivent être corrigées.

 

Lire l’article de Jean-Louis Fénolland au format PDF

La radioactivité serait-elle le principal impact du numériqu sur l’environnement???

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