La moitié du parc nucléaire à l’arrêt : Une vérité qui n’en est pas une !

27 / 09 / 2022

ARTICLE :   Jean-Pierre PERVES, PNC – FRANCE

 

La moitié du parc nucléaire à l’arrêt

Une vérité qui n’en est pas une !

Belle unité dans les informations données aux français : plus de la moitié du parc nucléaire est arrêtée et il manquerait donc environ 32 000 GW sur 61 000 (ou 31 GW sur 61). Cette vraie/fausse donnée repose sur une comparaison des chiffres sans analyse et interprétation, que contredit immédiatement la réalité de cet été, comparé à celui de 2019 (données RTE Eco2Mix) : le déficit n’est clairement pas si important :
L’examen détaillé de ces mesures montre que la puissance moyenne délivrée sur la période est inférieure en 2022 de 13 000 MW, et non de 31 000 MW, ce qui est cohérent avec l’arrêt sur des problèmes de corrosion (CSC) de 11 réacteurs représentant 14 000 MW de puissance.

Les commentateurs ont simplement oublié de préciser qu’un grand avantage du nucléaire (comme des centrales fossiles d’ailleurs), est de permettre l’ajustement de la production en fonction des saisons : l’arrêt de nombreux réacteurs l’été (environ 20 000 à 25 000 MW), pour maintenance, travaux et rechargement en combustibles, vise à faire bénéficier l’hiver du maximum de moyens de production, ce qui est hors de portée des productions intermittentes, solaire et éolien.

D’où une conclusion rassurante : le reste du parc est en fonctionnement ou maintenance périodique, et les défauts constatés sur les réacteurs les plus récents (CSC) ne révèlent pas une fragilisation du parc lié au vieillissement, ni bien évidement un défaut d’entretien. De plus les réparations de ces réacteurs sont bien engagées, confirmant ainsi la capacité d’EDF à réparer des tuyauteries très proches du cœur du réacteur.

Il n’en demeure pas moins que la situation de notre mix électrique n’est pas satisfaisante ! En effet, c’est dès 2021 que la crise de l’électricité en Europe a commencé, avant ces arrêts imprévus et l’envahissement de l’Ukraine par l’armée russe. La raison en est clairement identifiée : l’imprévoyance de l’Europe, comme celle de la France.

Revenons à 2010. Nous avons depuis cette date arrêté des centrales à charbon (-6 124 MW), à fioul (-7 093), nucléaire (-1 800 MW), soit au total 15 000 MW. Les seules compensations ont été 3 800 MW de centrales à gaz, et 26 000 MW de moyens intermittents qui ne sont présent que quand ils le peuvent (que dire du solaire en hiver !). La puissance moyenne que ces productions intermittentes délivrent n’est que de 5 200 MW en 2019, et elles peuvent faire presque totalement défaut en toutes saisons.

Si on se préoccupe de la puissance « garantie », ne dépendant ni d’Éole ni d’Hélios, et qui seule donne sa robustesse au réseau électrique, nous avons donc perdu 12 000 MW environ (auxquels s’ajouterons 1 800 MW de centrales à charbon en 2024), sans modification de notre consommation d’énergie finale, et alors que la loi qui projette l’arrêt de 12 réacteurs de plus n’a pas encore été corrigée. Dans le même temps les pays voisins ont massivement arrêté des centrales à charbon[1] ou nucléaires et se sont mis entre les mains des fournisseurs d’un gaz naturel et carboné. D’où l’effondrement des capacités pilotables européennes et la crise actuelle, amplifiée par la guerre en Ukraine. Et cela ne fait que commencer quand on annonce la fermeture de plus de 50 000 MW de plus d’ici 2030 en Europe de l’Ouest, avec l’abandon programmé du charbon et du fioul.

Le long terme est essentiel, même si la faiblesse actuelle de notre nucléaire demande une gestion pragmatique cet hiver, et c’est tout notre logiciel qu’il faut réviser :

  • redonner à EDF les moyens de ses ambitions ;
  • cesser de subventionner tout et n’importe quoi à grand prix (qui fait l’évaluation des budgets considérables que gère l’ADEME, par exemple ?);
  • donner à chaque producteur et vendeur d’électricité des responsabilités réelles dans l’équilibre du réseau (sortir du désastreux l’ARENH[2] et des revendeurs opportunistes, ceux qui larguent leurs clients quand leurs marges sont menacées) ;
  • cesser de subventionner des moyens de production qui se disent matures et compétitifs ;
  • Rappeler aux gestionnaires du réseau, chargés de conseiller le gouvernement, leur devoir de privilégier des visions pragmatiques, robustes et à long terme, sans céder à des pressions politiciennes ;
  • nommer aux postes de responsabilité des personnalités reconnues pour leur compétence et non leur indéfectible fidélité, …

Pourquoi ce désastre ? N’insistons pas sur une politique européenne, largement inspirée par l’Allemagne, reposant sur un « marché unique libre » devenu sauvage : cette faute stratégique, qui a totalement ignoré l’importance de l’électricité dans la civilisation moderne,  son caractère de service public, est désormais bien caractérisée. La France s’est laissé enfermer dans ce piège idéologique, il nous faut en sortir au plus vite.

________________

[1] Mais des pays, comme l’Allemagne, ont maintenu en réserve de pointe quelques centrales à charbon alors que la pureté doctrinale de nos décideurs les sacrifiait définitivement.

[2] ARENH : cet Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique qui oblige EDF à vendre à ses concurrents le tiers de sa production à prix cassé, la moitié du prix moyen consenti selon la CRE à l’éolien terrestre en 2022

ILLUSTRATION : Nicolas WAECKEL

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